
BRF - Jardiner en sol vivant
Par Jacques Hébert des 'Jardins vivaces de Charlesbourg'

Photo - Marie-Pier Dumas©
Jardiner en sol vivant adapté à vos besoins de culture avec les BRF
La base d’un bon jardinage passe implicitement par une saine culture de la vie du sol. Il s’agit là d’un réseautage d’inter liens en constantes transformations dans des jeux d’équilibres qui se reformulent constamment.
La plupart des gens pensent que la plante tire de l’énergie du sol et qu’il faut sans cesse ajouter des fertilisants de synthèse (engrais chimiques). C’est trop souvent la vision conventionnelle de l’agriculture contemporaine. Voyons comment un sol vivant et en santé peut faire bien mieux si on peut se joindre à ses harmonies.
PLANTE ET PHOTOSYNTHÈSE
La plante est un immense capteur solaire. Par la photosynthèse, la plante développe, entre autres, des carbohydrates, incluant des polysaccharides (des sucres) et des protéines qu’elle achemine par voie de canalisation descendante jusqu’aux radicelles. Il y a là un suintement des sucres des racines dans la rhizosphère, soit une fine pellicule d’environ un millimètre (1/25 de pouce) entourant les racines, là où il y a inter échange et réserve des nutriments. Ce suintement de polysaccharides sert d’attractant principalement aux bactéries et aux fungi. À leur tour, les bactéries et fungi attirent de plus gros micro-organismes tels que les protozoaires et nématodes qui s’en nourrissent pour remplir leurs fonctions métaboliques. Donc, chaque micro-organisme absorbe ce qu’il lui faut pour vivre et rejette les surplus qui sont recyclés comme nutriments. Chacune de ces familles de micro-organismes cycle et recyle minéraux, nutriments, matière organique, résidus végétaux et animaux et autres composantes, rendant les nutriments assimilables aux plantes et aux autres structures vivantes du sol.
FUNGI
Les fungi ont cette propriété de s’accroître en longueur, localiser et se diriger vers leur source de nourriture, transformer cette nourriture, l’emmagasiner dans un liquide, cytoplasme, contenu dans ses hyphes, et l’acheminer dans un immense circuit réseautique. Ces nutriments seront laissés dans le sol, mais ils seront aussi redistribués vers les différentes plantes de ce réseau. Les fungi sont attirés par le suitement des racines des plantes. Il y a transfert de suintement des racines des plantes, principalement les polysaccharides, contre les minéraux transformés par les fungi. Un fungi peut se développer à une vitesse de 40 microns par minute alors qu’une bactérie type se déplacera d’environ 6 microns dans toute sa vie. Les bactéries pourront voyager avec le support des autres organismes du sol, arthropodes, vers, limaces, oiseaux...
Certains fungi préfèrent une nourriture plus facile à digérer, plus riche en sucre, mais c’est aussi la nourriture des bactéries et ceux-ci sont plus rapides à consommer cette nourriture ayant des sucres plus simples. Les fungi produisent des phenol oxidases, de fortes enzymes qui dissolvent la lignine du bois qui lie et protège sa cellulose. Ces enzymes, comme dans l’estomac, métabolisent même les matériaux les plus difficiles à transformer tels que la lignine du bois, la chitine des carapaces d’arthropodes ou d’insectes et même des os. Les bactéries produisent également des enzymes, mais ils vont se limiter à une nourriture plus facile à digérer et ils vont souvent s’attaquer aux résidus de ce que les fungi ont déjà transformé. Les fungi peuvent absorber le phosphore, le cuivre, le zinc, le fer et principalement l’azote. Le phosphore à l’état pur ou comme fertilisant chimique n’est pas disponible pour la plante, la transformation par les fungi va déverrouiller le phosphore et le rendre disponible pour les plantes. L’azote laissé comme résidu dans le sol, par la seule action des fungi, est transformé en ammonium (NH4+). Les enzymes et les acides des fungi vont nécessairement donner un sol de pH acide. Les fungi sont les principaux recycleurs dans le sol. Ils sont, en cela dans une classe bien supérieure aux bactéries.

Les jardins vivace de Charlesbourg - En Juillet-Août
BACTÉRIES ET CYCLES DE L’AZOTE
Les bactéries sont des êtres unicellulaires infiniment petits qui ont besoin de s’agripper sinon ils seront lessivés. Ils produisent une vase, une colle, qui permet d’attacher les particules du sol ensemble. Les fungi vont tout particulièrement produire des glycoprotéines, du type glomaline, comme une colle, qui lie les particules du sol et constitue une réserve de nutriments principalement dans la rhizosphère. Les vers de terre en produisent également, de même que la colle sécrétée par les gastropodes (limaces, escargots) en est également. Les bactéries sont peu mobiles. Dans de bonnes conditions, une seule bactérie peut se multiplier, par division cellulaire, en des milliards en quelques heures. Les bactéries ont besoin d’humidité pour bien vivre. Les bactéries produisent des enzymes à l’extérieur de la cellule qui vont briser la matière organique et digérer cette nourriture. Entre autres, par un échange électrique, les nutriments vont traverser la paroi cellulaire et venir se verrouiller à l’intérieur de la bactérie. Tout comme les fungi, les bactéries forment une réserve de nutriments qui sont libérés dans le sol, lorsque d’autres organismes, principalement les protozoaires, et nématodes vont en faire la prédation et contribuer à alimenter le réseau vivant. Chacune de ces familles de micro-organismes constitue un réseau de biotransformation qui affine et rend disponible les composantes du sol sous forme de nutriments tout en étant une structure physique vivante en perpétuelle transformation. On pourra faire un bien meilleur jardinage avec une meilleure compréhension de ces cycles en prenant en considération le milieu, le type de culture, la nourriture et les méthodes culturales adaptées.
« The nitrogen cycle, propelled in part by specialized bacteria, is one of the most important systems in the maintenance of terrestrial life : living organisms produce the vital organic compounds, the building blocks of life - amino and nucleic acids - using nitrogen. The strong bonds holding atmospheric nitrogen (N2) molecules together make this nitrogen inert for all practicable purposes and useless for plant needs. For plants to be able to use nitrogen, it has to be « fixed » - combined with either oxygen or hydrogen – producing ammonium (NH4+), nitrate (NO3-), or nitrite (NO2-) ions. This important process is called nitrogen fixation. … Another part of the nitrogen cycle, the place at which it « starts » in the soil, involves the decomposition of proteins into ammonium (NH4+). This ammonium usually figures as part of the waste product produced by protozoa and nematodes after eating bacteria and fungi. Next, special nitrite bacteria (Nitrosomonas spp. ) convert the ammonium compounds into nitrites (NO2). A second type of bacteria, nitrate bacteria (Nitrobacter spp.), convert the nitrites into nitrates (NO3-). (Lowenfels, p.47-49)
ACTINOMYCÈTES
L’odeur de bonne terre que l’on sent au printemps sur de la terre retournée ou sur un tas de compost stabilisé est causée par les actinomycètes. Ils sont importants dans la formation de l’humus. Alors que les bactéries vivent en surface du sol, les actinomycètes peuvent travailler à plus d’un mètre de la surface. Ils décomposent les animaux et les matières végétales en carbone, azote et en ammonium rendant ces nutriments disponibles aux plantes. Ils se retrouvent dans tout substrat naturel. 5 % et plus de la population de bactéries du sol sont des actinomycètes. La population des bactéries va avoir tendance à diminuer à mesure que les actinomycètes se développent puisque ces derniers ont l’habilité de produire des antibiotiques, des substances chimiques qui inhibent la croissance des bactéries. Un peu comme les fungi, les actinomycètes développent des filaments qui leur permettent de lier les particules du sol. Ils deviennent ainsi trop grosses pour être mangés par leurs prédateurs naturels comme les protozoaires. Les actinomycètes sont particulièrement aptes à décomposer la cellulose et la chitine, deux produits particulièrement difficiles à digérer, des composés carboniques qui se retrouvent dans la composition des cellules des plantes et des fungi. Les actinomycètes peuvent vivre dans un plus large écart de pH du plus acide au plus alcalin.
ARCHAEA
Jusqu’à tout récemment, les Archaea étaient regroupés avec les bactéries. Ils constituent un royaume souche de la vie sur terre. Certains Archaea sont connus pour leur capacité à vivre dans des situations extrêmes de chaleur volcanique, comme dans le froid glacial ou en extrême profondeur, dans des conditions d’extrême acidité... La membrane cellulaire des Archaea contient des lipides alors que celle des bactéries n’en contient pas. Les amino-acides et les sucres contenus dans les Archaea diffèrent de ceux des bactéries. Une étude récente, mettant en comparaison ces différences, confirme, non seulement la présence d’Archaea dans le sol, mais leur dominance dans le processus de fixation de l’azote dans le sol. Ces nouvelles découvertes nous ouvrent de nouvelles fenêtres sur la compréhension du fonctionnement de ces supports de la vie sur terre en constante évolution, et qui sont là, pourtant, depuis l’aube des temps.
PROTOZOAIRES
Alors que les bactéries vont mesurer entre 1 et 4 microns, les protozoaires vont mesurer entre 5 et 500 microns. Les bactéries sont les principales sources d'alimentation des protozoaires.
Les protozoaires sont attirés dans les zones où il y a beaucoup de bactéries en population croissante. La plus petite famille des protozoaires, les flagellés, va pénétrer dans des zones plus restreintes, là où il y a de grandes populations de bactéries et là où les plus grands protozoaires ne peuvent les atteindre. Une autre famille de plus grands protozoaires s'installe, les ciliés. Il y aura assez de nourriture en bactéries pour ces deux familles de protozoaires. Viennent ensuite les familles de plus grands protozoaires, les aoebae qui vont toujours faire la prédation des bactéries, mais aussi des plus petits protozoaires. Tout cela finit par créer une décroissance des populations de bactéries et une régulation des protozoaires de plus petites tailles, puisque moins il y aura de bactéries, plus les protozoaires de grandes tailles feront la prédation des protozoaires de petites tailles. Ayant moins de nourriture, les aoebae, vont se nourrir des nématodes qui partagent les mêmes sources de nourritures. Il y a ainsi contrôle des populations et des organismes pathogènes. Ce qui reste de bactéries peut se cacher dans les colles, glycoprotéines, qui sont moins oxygénées, alors que les protozoaires ont besoin d'oxygène pour vivre. Les bactéries étant plus petites, ils peuvent trouver refuge dans les parties les plus exiguës du sol. Les populations de bactéries ayant ainsi diminué, ils ont plus de nourriture, seront plus en santé et se multiplieront plus rapidement et les cycles se multiplient ainsi en boucles continues.
Fungi, bactéries, protozoaires ont besoin d'humidité pour survivre. Lorsqu'il manque de nourriture, de milieu ambiant, dont l'humidité, les fungi, comme les protozoaires, vont tomber dans une dormance, ou migrer dans des zones où il y aura la nourriture recherchée ou le milieu environnant qui leur est propice à leur survie et à leur multiplication.
Donc, les bactéries et fungi sont attirés par le suintement des sucres des radicelles, les protozoaires vont faire la prédation des bactéries et fungi, en libérant les nutriments qui étaient conservés dans leurs structures cellulaires, rendant ces nutriments, dont l'azote, sous forme d'ammonium ou de nitrate, disponible aux plantes. Tout cela se passe particulièrement dans la rhizosphère, là ou l'inter échange se passe, là où la plante en a besoin. Ainsi, 80% de l'azote transige via les bactéries et fungi, en passant par les protozoaires.
Les protozoaires, tout comme les vers de terre, vont également ingérer des particules plus grossières de matière organique, les réduisant en particules plus fines, les rendant ainsi plus accessibles aux fungi et bactéries. Dans ces processus de cyclage, fungi et bactéries vont favoriser les populations de protozoaires. Les protozoaires vont servir d'alimentation essentielle pour certains nématodes et particulièrement pour les vers de terre. Une faible population de protozoaires entraîne une faible population de vers de terre. Les sols gérés avec mon compost, avec couverture de BRF en mulch, regorgent de vers de terre. Donc s'il y a des vers de terre, il y a des protozoaires, s'il y a des protozoaires, il y a des bactéries et les fungi qui digèrent la jeune lignine.
Tout cela se fait dans un réseautage d'inter liens en constante évolution et transformation.

Photo - Marie-Pier Dumas©
ARTHROPODES
Les arthropodes, dont les acariens et collemboles, vont broyer la matière organique et la rendre disponible pour les fungi et bactéries. Ils sont reconnus pour être responsables de la transformation de 30 % des feuilles et débris de la litière forestière.
GASTROPODES : LIMACES, ESCARGOTS
Les gastropodes, limaces et escargots, ne passent que 5 à 10 % de leur temps hors du sol. Ils vont brouter les fungi, les algues, les lichens, et les pourritures de matière organique. Ils peuvent digérer la cellulose, produisent des glycoprotéines, et contribuent au cyclage dans le sol. J’ai 200 variétés d’hostas et tous les cultivars de ligularia, qui sont vulnérables aux gastropodes. Mes feuilles sont remarquablement peut trouées par ces gastropodes. Ils ont tout ce qu’il leur faut dans le sol. Les populations polyvalentes d’organismes d’un tel bon sol contribueront aussi à un équilibre des populations de gastropodes.
LIGNINE ET CELLULOSE VS FUNGI ET BACTÉRIES
Les graminées, dont les rognures de gazon, et les plantes annuelles, sont constituées d’une bonne part de cellulose. Ils ont plus de sucres et sont principalement transformés par les bactéries. Le bois est constitué d’une bonne part de lignine. Dans la documentation anglophone, on voit la mention de « wood chips » comme matériel brun pour le compostage. On ne fait pas en cela la distinction entre bois caulinaire et bois raméal. La fine branche et la feuille ont une lignine « jeune » plus riche en sucres, acides aminés, protéines et autres composantes, donc plus riche en éléments nutritifs et plus faciles à bio transformer. Les fungi sont les principaux agents de transformation de cette lignine. Le bois caulinaire, bois de tronc, sert de voix de canalisation de la sève et principalement de structure portante de l’arbre. La lignine du bois caulinaire est beaucoup plus polymérisée, plus lente à se transformer et moins riche en éléments nutritifs à court terme que le BRF. Bien entendu, un tronc d’arbre va se transformer graduellement par les fungi, mais la couche de feuilles et de brindilles va se transformer dans des cycles plus rapides et plus riches.
LE BOIS RAMÉAL FRAGMENTÉ : BRF
Le bois raméal fragmenté est donc cette fine branche et la feuille. Plus la branche est fine, verte et vivante, plus elle aura d’effet bonifiant pour la vie du sol. J’essaie de sélectionner des rameaux de 5 cm et moins, vert, frais coupés, non contaminés par des maladies ou insectes. Je n’utilise que des essences feuillues et principalement du feuillu climacique : érable, frêne, chêne, tilleul, orme... Certains peupliers, dont le peuplier faux tremble, semblent avoir des effets d’inhibition de croissance, du moins au départ de la transformation, de même que les noyers. Je n’utilise aucun résineux qui, à des degrés différents, peut également freiner la croissance de nos plantes cultivées.
J’ai développé mes propres prototypes d’appareils puisqu’ils n’existaient pas sur le marché aux fins qui me convenaient. La granulométrie du BRF doit être suffisamment fine pour qu’il y ait le plus de surface possible du copeau exposé à l’attaque des micro-organismes. Le copeau ne doit pas être trop fin pour créer une couche compacte, sans air, anaérobique, ce qui peut générer des micro-organismes pathogènes.
Surtout en milieu urbain, lorsqu’on commence à jardiner, le site choisi est souvent compacté, stérile, sans vie. Il faut donner vie, non seulement au futur lieu de jardinage, mais au milieu environnant.